Italie, l’ « atelier zero » est né

Italie, l’ « atelier zero » est né

Rome, dans le quartier de Tiburtina qui accueille la nouvelle gare de TGV, projets pharaoniques et spéculation immobilière vont bon train. C’est dans ce contexte qu’un atelier de réparation de matériel ferroviaire a été fermé. Trente trois travailleurs maintiennent le site envers et contre tous, construisent, avec l’aide des habitants du quartier, un projet de reconversion du site. Bienvenue à Officine Zero.

 

Pour qui prenait régulièrement le train de nuit pour Rome, la dégradation des conditions de voyage est patente, et les privatisations, abandons, sous-traitances en cascade n’y sont pas pour rien. La priorité est donnée aux projets pharaoniques de trains à grande vitesse avec une gare à Tiburtina, à Rome. Le quartier de Tiburtina, c’était (c’est encore) un quartier populaire et industrieux, avec sa petite gare qu’on pourrait qualifier de banlieue s’il y avait une banlieue à Rome. Il connaît des transformations profondes. Gare à grande vitesse, spéculation immobilière accompagnent la transformation en « Tiburtina Valley ». Voilà  l’environnement d’un atelier de maintenance des wagons lits dans lequel 33 travailleurs portent un projet alternatif à la fois social, économique et environnemental.  L’atelier ex-RSI (“New Rest Servirail Italia”), ex Wagons-lits, c’est deux ans de lutte de 33 travailleurs en « Cassa integrazione » depuis la fin 2011 1. Le 20 février 2012 ils ont occupé les lieux, avec le soutien du centre social « Strike » et des réseaux de collectifs de travailleurs et d’habitants. Face à la faillite de l’entreprise, soutenus par une large coalition sociale d’ouvriers, d’étudiants, de travailleurs précaires et indépendants 2, après une année et demi d’occupation, l’atelier a rouvert ses grilles, avec un projet neuf et ambitieux: « Une vie nouvelle là où les patrons ont fait faillite, exploité et spéculé ».

Les 1er et 2 juin 2013 à Rome, à l’occasion d’une rencontre avec tables-rondes consacrées aux expériences alternatives, on a pu prendre connaissance d’une série de reprises par les travailleurs. Ri-MAFLOW était là (voir notre article précédent), ainsi que « l’Officine zero », l’Atelier zéro, pour « zéro patron » mais aussi comme un nouveau départ.

Quels en sont les objectifs principaux ?

- assurer l’emploi des 33 travailleurs en dernière année de « Cassa integrazione »,

- la sauvegarde productive de la zone des locaux de via Umberto Partini,

- la reconversion de l’entreprise,

- l’organisation et le développement d’un espace de co-travail, mutualisé, sous l’autotutelle des travailleurs.

A deux pas de la gare de Tiburtina, nouveau nœud central de la Haute Vitesse qui bouleverse l’aspect urbanistique et social de la zone entière, l’Atelier est devenu rapidement un symbole du paradoxe de la crise. Quand en 2008 la société Barletta l’acquiert, ce n’est pas pour en relancer l’activité mais pour réaliser une opération spéculative immobilière. La rente immobilière se substitue à la production. Pour 33 familles, c’est une vie de compétences et de savoirs qui part en décombres. Mais l’atelier est aussi devenu le symbole de la résistance à la crise.

Après une année et demi d’occupation, en l’absence de réponses institutionnelles, la lutte est arrivée à un tournant : ĺe « laboratoire de la reconversion » est né. En quelques mois, avec l’apport d’architectes, d’économistes, d’experts et de militants, le projet concret alternatif à la spéculation est élaboré. Il s’agit de relancer la production en mettant à profit tous les savoirs et toutes les compétences. Et quand le 3 mai 2013 la justice prononce la faillite de CSF (ex-RSI), le projet connaît une accélération inattendue, il est présenté dans la ville, avec des assemblées publiques réunissant des centaines de personnes. C’est ainsi qu’est née cette idée de « l’Atelier zéro ». Dans ce « laboratoire » se rejoignent et s’auto-organisent les travailleurs de tous statuts : précaires, indépendants (soumis à la TVA, collaborateurs, consultants) pour donner vie à un espace qui soit à la fois un espace de co-travail et une sorte de bourse du travail, un lieu de production en commun, liant savoir et compétences, avec des dispositifs de service et d’assistance, contrant la précarité et le chômage, « par un « welfare » universel » : (c’est-à-dire revenu de base, formation, santé, prévoyance).  La combinaison de cette diversité fait émerger une « nouvelle figure productive ».

Au centre du projet, l’idée que les compétences des manutentionnaires des trains peuvent être en grande partie et pendant un temps, ré-employées par un service public d’utilité sociale orienté vers la formation du personnel qui travaille dans le monde du recyclage, des énergies renouvelables, de l’artisanat traditionnel ou nouveau. En effet, pour cet Atelier zéro, le recyclage et les nouvelles formes d’artisanat produisent une nouvelle forme d’économie, où le social et l’environnemental vont de pair. « L’Atelier zéro renoue avec les origines du mouvement ouvrier, unissant ce que les patrons veulent diviser » : mutualisme et production autonome. Le produit principal est l’union, sans patron, ni chefs d’atelier, un espace où cohabitent « co-travail et autogestion, travail artisanal et autoformation ». La mutualisation peut dès lors créer du lien face à la fragmentation et à la solitude.

Les ateliers zéro sont aussi des lieux d’études et de formation autogérés, dans une ville dans laquelle les services pour les universités publiques sont réduits au strict minimum. Les ateliers zéro accueillent les projets élaborés et écrits par les communautés d’habitants, pour restituer à la communauté locale la richesse sociale et la solidarité.

« L’alternative que nous proposons pour rompre la solitude dans laquelle on veut nous reléguer, dans laquelle les étudiants, les précaires, les travailleurs dépourvus de garanties pourront se confronter pour construire un lieu à habiter, et non plus seulement à traverser, un espace de dignité, d’humanité et d’autonomie ».

« Les ateliers zero recommencent, et pas à zéro ».

Notes:

  1. La Cassa integrazione guadagni (CIG) est, en résumé, une institution italienne dont le but est de soutenir financièrement des salariés mis au chômage technique.  La CIGS (Cassa integrazione guadagni straordinaria), concerne les entreprises en restructuration ou reconversion, financée par l’Etat et permet aux salariés non seulement de bénéficier de formations, mais d’être réintégrés dans l’entreprise si celle-ci se redresse dans un délai qui peut aller de 12 à 36 mois. Les salariés demeurent ainsi dans un cadre collectif.
  2. En Italie, on connaît certes les salariés subordonnés, les travailleurs indépendants mais aussi les « para-subordonati » aux caractéristiques juridiques particulières, contribuant à l’émiettement et à la division.