Hélio-Corbeil : refuser le déclin
Spécialisés dans l’héliogravure, marché économiquement sinistré, échaudés par les aléas des rachats et restructurations du secteur, les salariés d’Hélio-Corbeil ont choisi de rependre leur entreprise en SCOP en février 2012. Si la route est difficile, la démocratie au travail permet de se repenser et d’envisager d’autres futurs que le chômage et la fin d’une filière.
Février 2012, l’entreprise Hélio-Corbeil dans l’Essonne a été reprise en SCOP par 90 de ses 120 anciens salariés. L’héliogravure est depuis plus d’un siècle le procédé-roi pour l’impression des magazines tant en qualité qu’en quantité. Pour chaque impression, d’immenses rouleaux de cuivre de quelques mètres de large sont gravés. Comme l’impression se fait en quatre couleurs – les trois primaires et le noir –, il en faut donc huit : un jeu de quatre pour le recto et un autre pour le verso. Une fois ces rouleaux gravés, ils sont installés sur une gigantesque rotative et l’impression est lancée. En bout de chaîne, le papier est découpé, puis plié pour former les cahiers qui seront à la base des magazines ou catalogues.
Un métier technique et minutieux où le savoir-faire ne peut s’acquérir qu’après des années de pratique. Mais un métier aujourd’hui sinistré comme peut l’être tout ce qui se rapporte à la presse papier. Dans le secteur très particulier de l’héliogravure, les difficultés sont apparues très tôt. En 1979, l’entreprise a connu son premier redressement judiciaire avec des effectifs qui étaient déjà passés de 6000 à 2100. Elle devient en 1998 une filiale du groupe Hachette pour ensuite être reprise par un poids lourd mondial de l’information, Québecor. En 2008, le groupe néerlandais Hombergh Holdings BV acquiert les activités européennes de Québecor, lesquelles deviendront ensuite Circle Printers, détenteur de trois imprimeries dont Hélio Corbeil avec plus que 120 salariés. En février 2011, Circle Printers est mise en règlement judiciaire. Faute de repreneurs, les salariés d’Hélio-Corbeil comprennent vitre que la reprise en SCOP est la seule solution. Leur objectif n’est pas de tenir quelques années de plus mais qu’après toutes ces années de déclin, ils sont sans doute les mieux à même d’envisager une solution de long terme.
La première question qui se pose est de trouver des clients capables de s’engager sur quelques années. Ayant précédemment imprimé des titres aussi prestigieux qu’Elle, Paris Match ou Art et décoration, les salariés vont réussir à contracter pour trois ans avec des magazines télé tels que TV Magazine (groupe Figaro), Télé 7 jours ou Télé star. Ces contrats permettent alors d’envisager un montage financier. Plus de 1,7 million d’euros vont être mobilisés pour cette reprise. Les salariés mettront ensemble 694 000 euros se décomposant en 244 000 euros d’apports personnels (dont 150 000 euros proviennent d’un prêt sur l’honneur de la Région Ile-France) et 450 000 euros de mobilisation des primes de reclassement. À ceci, se rajoute un prêt de 310 000 euros de Serge Dassault et un autre de 700 000 du Crédit coopératif. En février 2012, soit un an après le début du redressement judiciaire, le Tribunal de commerce valide la reprise.
Un des enjeux de la première année était la remise en état de l’outil de production. D’après Bruno Arasa, actuel Président d’Hélio-Corbeil, la SCOP a investi plus sur une année que ce que les propriétaires antérieurs ont fait en 10 ans. Deux immenses rotatives sont opérationnelles et fonctionnent sur le régime des trois-huit en semaine et des deux-douze en week-end. Les bénéfices ont été au rendez-vous la première année, la deuxième année s’est finie à l’équilibre et une perte est attendue pour la troisième. Deux phénomènes expliquent cette situation. Les allègements de cotisations sociales au titre de la création d’entreprise ont facilité le bénéfice de la première année. Mais la crise de la presse écrite se fait ressentir ici comme ailleurs. Selon Bruno Arasa, il y aurait 5 % de volumes en moins tous les cins ans. Comme l’entreprise ne peut vivre qu’avec des engagements de long terme, ils ont dû renégocier rapidement pour les années suivantes, sur deux titres mais avec des baisses de prix applicables immédiatement.
Face à une telle situation, les sociétaires refusent de pratiquer les baisses de salaires. Ils ont d’ailleurs précédemment accepté des baisses de 5 % en 2006 et cela n’a pas empêché un dépôt de bilan. Selon eux, le coût d’impression d’un magazine est marginal : 10 % du prix de fabrication et de la distribution, rédactionnel exclus. Sur ces 10 %, la masse salariale de l’entreprise représente environ 42 % des coûts, les autres gros postes étant l’encre et l’énergie 1. Chez Hélio-Cobeil, un conducteur de machine est à 2500 euros net pour un emploi en trois-huit alors que dans certaines entreprises ils sont obligés de travailler au SMIC. Pour les salariés d’Hélio-Corbeil, la solution passe par l’investissement pour réduire les coûts. Ils envisagent de racheter une rotative d’occasion de 3,88 mètres de large au lieu de 3 qui leur permettra de proposer des baisses de prix. Mais cela ne sera possible que s’ils obtiennent des engagements de la part des clients, ce qu’ils essayent d’obtenir un peu comme ils l’avaient fait lors du lancement de la SCOP. Autre piste : se trouver une place originale dans ce marché en déclin, se diversifier sur des outils marketing à base d’héliogravure…
Les débats sont vifs au sein de la SCOP. Ainsi, à l’issue de la première année, un débat a eu lieu sur l’opportunité de distribuer le résultat, discussion qui exprime un choix entre le court terme – on distribue – et le long terme – on préserve l’avenir. Deux lignes de clivage sont apparues : l’âge des sociétaires et l’adhésion au syndicat CGT. Sans généraliser, les plus jeunes et les syndiqués semblaient plus réceptif à la mise en réserve du résultat. Il faut noter qu’une grande partie des sociétaires sont membres du Syndicat des imprimeries parisiennes CGT. Une spécificité de cette SCOP est que le taux de syndicalisation a remonté, traduisant sans doute le fait que pour les coopérateurs, l’existence de l’entreprise reste dépendante des rapports de force à l’intérieur de ce secteur et qu’il n’est pas question de se désolidariser de ses collègues. L’avenir de cette SCOP s’inscrit dans le devenir de cette profession. Et dans ce contexte difficile, il est préférable de prendre en main son avenir avec comme objectif le maintien de son activité.
- Les papiers ne sont pas achetés par l’entreprise mais confiés à celle-ci qui les retourne sous forme de cahiers imprimés. ↩